Il y a quelques années, lorsque j’en étais encore à apprendre les bases de l’hypnose « actuelle », j’entendais souvent parler de somnambulisme, d’état d’Esdaile, de coma hypnotique, d’Ultra Depth et d’Ultra Height. Tous ces états exerçaient sur moi une fascination sans limite, impressionné comme j’étais par leurs pouvoirs quasiment surnaturels. J’entends encore aujourd’hui de nombreuses choses à propos de ces états, qui revêtent un caractère mystérieux, si ce n’est mystique.

De nombreuses choses sont dites et contredites à leur égard, et il est souvent difficile de démêler le vrai du faux.La confusion générale concernant les états profonds trouve son origine, en partie, dans l’adoration de la transe légère des hypnotiseurs de notre époque. L’approfondissement de la transe se limite aujourd’hui à un court fractionnement, étalé sur quelques minutes.De la transe profonde agonisante, certains rapaces ont fait leur repas. Et alors même que beaucoup d’hypnotiseurs ignorent aujourd’hui l’existence de phénomènes d’électivité, nous avons assisté à la « découverte » de nouveaux états, qui sont aujourd’hui des marques déposées. Pour faire très court, la vision actuelle des niveaux de profondeur de l’hypnose est la suivante :

  • Hypnose légère
  • Hypnose moyenne
  • Hypnose profonde
  • Somnambulisme
  • Etat d’Esdaile
  • Etat Sichort/Ultra-Height

Dans cet article, je vais revenir succinctement sur les états cités précédemment pour préciser les idées du lecteur. Ensuite je livrerai le fond de l’article : ce modèle très insuffisant s’insère parfaitement bien dans le cadre théorique développé par Janet ainsi que dans les observations de Milton Erickson.
harmonie des 2 hemispheres du cerveau

Elman et la transe profonde

La vision prévalente de l’hypnose profonde se rattache essentiellement au modèle proposé par Dave Elman, hypnotiseur de spectacle, dans son bouquin Hypnotherapy. L’auteur y dévoile l’enchaînement des niveaux de transe qu’il a remarqué au cours de sa pratique :

  • Transe légère
  • Transe moyenne
  • Transe profonde
  • Somnambulisme
  • Etat d’Esdaile

A chaque niveau de transe correspondent plusieurs phénomènes bien précis. Par exemple, la transe légère correspond à un état de relaxation physique avancé, tandis que la transe profonde correspond à un état de relaxation physique et mental avancé. Qu’entend Dave Elman par relaxation mentale ? Il s’agit, pour lui, d’un état dans lequel il y a un minimum de pensées conscientes – voire plus du tout – et que l’esprit est complètement « blanc ».
Après la transe profonde vient l’état Somnambulique. Celui-ci est principalement caractérisé par la facilité avec laquelle le sujet hypnotique développe des amnésies spécifiques et suggérées. Par exemple l’amnésie de son prénom ou, dans l’induction Elman, une amnésie des chiffres.
Finalement, l’état le plus profond pour l’auteur est l’état d’Esdaile, nommé d’après le célèbre chirurgien écossais James Esdaile, qui se servait de ses caractéristiques afin d’anesthésier et de soigner ses sujets. Cet état – aussi appelé Coma Hypnotique – est principalement marqué par une anesthésie tactile sur tout le corps, une catatonie complète et la possibilité pour le sujet de « choisir » les suggestion qu’il souhaite prendre ou non, avec une incapacité à parler et à bouger. Pour faire simple, le sujet ne répond plus à grand chose, est totalement absent et son corps reste dans la position qu’on lu donne.
Je n’ai pas choisi de détailler les caractéristiques de ces états par pur plaisir. Ces descriptions seront importantes pour la suite de cet article.. Je vous invite donc à bien les garder en tête.Depuis cette vision de la transe profonde proposée par Dave Elman, des « niveaux » d’hypnose se sont greffés sur son modèle originel. Deux niveaux se sont ajoutés : L’état Sichort nommé d’après son « découvreur », et l’état Ultra-Height, « découvert » par Jerry Kein – comprendre celui qui en a déposé le terme. L’état Ultra-Height, même s’il intervient à la suite d’un état d’Esdaile, correspond en réalité à un état d’hypnose ascendant, « d’expansion de conscience ». Au lieu de « descendre » plus profondément, le sujet « monte ». D’où le nom d’Ultra-Height. Voici les caractéristiques de ces deux états :L’état Sichort est caractérisé par une hyper relaxation, une guérison 6 à 10 fois plus rapide et une connexion à l’inconscient.
L’état Ultra-Height quant à lui, présente les caractéristiques suivantes : aucune. D’après Jerry Kein, l’atteinte de l’état nommé d’après lui à la suite de l’état de Coma Hypnotique est une évidence. D’après Christophe Pank 1, les caractéristiques de cet état sont les suivantes : apaisement du visage – à la limite de l’état extatique – et une anesthésie complète du corps.Voici, à quelques variations près, la carte prévalente de l’état d’hypnose tel que j’ai pu la constater chez beaucoup de praticiens, qu’ils soient issus de la rue, de la thérapie ou du spectacle. Cette vision très grossière et peu rigoureuse est très insuffisante. Elle possède toutefois de bonnes intuitions que l’on retrouve souvent dans des modèles plus complexes et sophistiqués.

Critique du modèle

Ma critique ne porte pas sur la réalité de ces états mais plutôt sur la pertinence d’en faire des états distinctifs.
Premièrement, les caractéristiques de ces états sont vagues. Prenons l’état Sichort : que signifie « une plus grand connexion à l’inconscient » ? Qu’est-ce que l’inconscient ? Quelle est cette connexion si particulière ? Je ne parlerai même pas de la guérison 6 à 10 fois plus rapide – je me demande selon quels critères cette accélération a été mesurée, si tant est qu’elle l’ait été – ni de l’hyper relaxation. Comment la mesurer ? En quoi cette hyper relaxation est-elle différente de l’hyper relaxation des autres états ? L’absence de caractéristiques solides pour l’état Ultra-Height est encore pire : un apaisement du visage. Celui-ci ne s’observe-t-il pas dans d’autres états ? De plus l’aspect « évident » de l’atteinte de cet état à la suite d’un Coma Hypnotique en dit long sur le sérieux et la rigueur de la démarche de son « découvreur ».
Ensuite, Christophe Pank révèle dans son bouquin un fait surprenant : il semblerait que le sujet hypnotique choisisse de lui même l’état profond lui permettant de faire le travail le plus adapté 1. Ce choix se fait spontanément, alors même que le sujet n’a aucune connaissance de l’hypnose. Après tout pourquoi pas, mais cela commence à faire beaucoup : un sujet néophyte choisissant lui même un état mal caractérisé. Ainsi le sujet ne passe pas par toute les étapes telles que décrites : il peut passer directement de la transe profonde à l’état Sichort ou à l’état Ultra-Height sans passer d’abord par l’état d’Esdaile ni même par une transe profonde. Ce fonctionnement est contradictoire avec ce que les auteurs de ces états ont décrit originellement.
La conception suivante semble également répandue : lorsqu’on rentre dans un état profond, par exemple l’état d’Esdaile, il peut arriver que tous ses phénomènes caractéristiques ne soient pas présents. On est pourtant dans cet état. Par exemple, un sujet pourrait être en état d’Esdaile alors que seuls l’anesthésie et l’absence de réponses sont présentes, mais pas la catatonie. Quelle-est la valeur de la caractérisation précise d’un état si elle est aléatoire ? Si je présente juste une absence de réactions mais pas de catatonie ni de catalepsie, suis-je toujours en état d’Esdaile ?
Par ailleurs, l’histoire de la découverte de l’état Sichort est pour le moins fascinante. Un jour, alors que Walter Sichort travaillait avec une cliente, quelque chose d’inhabituel est arrivé : il n’est pas parvenu à la faire émerger de son état d’hypnose, malgré l’utilisation de la fameuse phrase magique qui ramène les sujets de leur coma hypnotique. Il s’est alors mis à paniquer. Au moment de prévenir la mère de la jeune femme pour qu’elle appelle les secours, cette dernière s’est éveillée. Walter Sichort l’a alors questionnée pour avoir son ressenti. Il s’est alors avéré qu’elle avait réagi à la première instruction de sortie de transe mais que, la distorsion temporelle étant tellement forte, ce comportement ne s’est manifesté que bien plus tard. Walter Sichort à donc décidé de continuer son travail avec ce sujet afin de découvrir les caractéristiques de sa transe. Pour faire court, l’état Sichort est né sur le ressenti d’un unique sujet ayant manifesté des phénomènes spontanés auxquels le thérapeute était peu accoutumé. Cela paraît très léger pour en faire un état digne d’être distingué. Si je rencontre un sujet qui se met spontanément à rire dans sa transe, tout en développant une catalepsie du gros orteil gauche, cela mérite-t-il que j’en fasse un état à part entière ? N’est-il pas préférable de reconnaître cette manifestation comme l’émergence spontanée de phénomènes hypnotiques propres à mon sujet lors d’une transe profonde? Il me semble bien inutile d’en faire un état à part entière et d’essayer d’y faire rentrer d’autres sujets de façon spontanée.
Finalement, un autre fait me frappe : ces états – ou plutôt ces marques déposées – ne figurent chez aucun auteur vraiment sérieux. N’est-il pas étonnant qu’un chercheur expérimenté comme Milton Erickson, ayant dédié la première partie de sa carrière à la recherche en hypnose et la seconde à devenir un maître ès hypnothérapie, n’ai jamais vu quelque chose qui semble si évident ? Il ne décrit jamais l’état de Coma Hypnotique en tant que tel – je reviendrai plus tard sur cette phrase – et que penser de la technique de l’ascenseur : pour aller de l’état de transe profonde à l’état d’Esdaile, il suffit que le sujet imagine un ascenseur qui descend trois étages, et à chaque étage il se détend un peu plus. Milton Erickson a-t-il pu passer à côté d’une technique aussi simpliste permettant l’accès à un état qu’il n’aura donc jamais connu ? C’est pour le moins douteux.
Ce modèle d’hypnose n’est pas le seul et il en existe de beaucoup plus élaboré. Le lecteur me connaissant personnellement saura ma préférence pour le Docteur Pierre Janet. Ceux qui ne me connaissent pas directement le percevrons au fur et à mesure de mes articles. C’est donc ce modèle que je vais présenter.

Milton Erickson et Pierre Janet

Chez Pierre Janet, l’hypnose est essentiellement de la dissociation – aussi appelée désagrégation. Pour les besoins de cet article, je vais devoir résumer et condenser sa théorie. Je prie le lecteur de me pardonner mes approximations.
Pour le professeur du Collège de France, la personnalité humaine est composée de sensations – externes comme internes, des sensations visuelles, auditives kinesthésiques , musculaire, qu’elles viennent de l’extérieur ou alors sous la forme de souvenirs etc.. – agrégées en un tout 2.schema1La dissociation consiste en un fractionnement de cette unité en divers morceaux. Ces morceaux peuvent être ou non réagrégés en une deuxième unité, à côté de la première – tant que cette dernière existe encore. D’où les phénomènes de personnalité multiple. Ce qui est explique également la présence apparente d’un « inconscient » lorsqu’on l’appelle. Il n’y a pas en permanence de volonté inconsciente propre en notre fort intérieur. On en a pourtant l’impression : à chaque fois qu’on appelle l’entité « inconscient », nous la créons justement. Et d’ailleurs, ce fait n’a pas échappé aux hypnotiseurs chevronnés, l’inconscient est de plus en plus présent et de mieux en mieux défini à mesure qu’on l’appelle.schema2La profondeur de l’état d’hypnose étant alors équivalente au degré de dissociation, il y a deux extrêmes possibles : soit le sujet est entièrement désagrégé, sans aucun agrégat secondaire suffisamment puissant pour suppléer à la personnalité première. Dans ce cas « il ne se passe plus rien », le sujet est totalement absent. C’est le fameux état « zombie » identifié par tant de néophytes comme étant la seule manifestation extérieure valable de l’état d’hypnose. L’autre extrême, correspond à un sujet entièrement réagrégé. Sa personnalité initiale ayant été découpée en de multiples morceaux réassemblés : on fragmente la personnalité première à mesure qu’on construit un agrégat second. Cette agrégat second devenant finalement plus « gros et plus fort » que la personnalité première il s’y substitue. L’hypnotiste se retrouve alors avec un sujet réveillé, mais avec une personnalité nouvelle. Evidemment ces deux possibilités sont séparées artificiellement. En réalité il s’agit d’une continuité d’états entre ces deux extrêmes et il est très rare d’avoir un sujet totalement désagrégé ou totalement réagrégé. Avec du temps et de l’entraînement, on peut toutefois s’en approcher.
L’auteur fait d’ailleurs des descriptions de séances très proches de ce que l’on appelle aujourd’hui l’état de Coma Hypnotique. Ainsi, la première description que livre l’auteur dans sa thèse intitulée L’automatisme psychologie :
« Quels que soient les moyens employés pour produire la catalepsie, examinons l’aspect que le sujet présente alors, et choisissons comme exemple la catalepsie de Léonie lorsqu’elle est bien complète et se rapproche le plus de la description classique. Le premier caractère et le plus apparent, c’est l’absolue immobilité du sujet. Jamais une personne normale ne reste plusieurs minutes sans aucun mouvement ; quelques mouvements des mains, des paupières, des lèvres, quelques légers frémissements de la peau manifestent toujours l’activité de la pensée et le sentiment des choses extérieures. Léonie, au contraire, dans l’état que nous décrivons, conserve invariablement l’attitude dans laquelle la catalepsie l’a surprise sans que le plus petit tremblement vienne révéler la conscience et la pensée. Les yeux eux-mêmes tout grands ouverts , sans aucun clignement des paupières, conservent avec fixité la même direction. En un mot, les mouvements de la vie organique, battements du pouls et respiration subsistent seuls, et tous les mouvements qui dépendent de la vie de relation et qui expriment la conscience sont supprimés. Si l’on intervient pas et surtout si on s’abstient de toucher le sujet, cet état persiste sans aucune modification pendant un temps plus ou moins long: on a vu des catalepsies naturelles durer des journées et des catalepsies artificielles se prolonger pendant plusieurs heures […]. Tant que le sujet reste cataleptique, on peut faire sur lui différentes expériences qui nous amènent à constater des caractères importants. Ces caractères, qui ne sont guère que la conséquence de l’inertie précédemment signalée, peuvent être ramenés à quatre principaux que nous décrirons brièvement car ils sont tous bien connus […]. Si l’on touche les membres, on s’aperçoit qu’ils sont extrêmement mobiles et pour ainsi dire légers, qu’ils n’offrent aucune résistance et que l’on peut très facilement les déplacer. Si on les abandonne dans une position nouvelle, ils ne retombent pas suivant les lois de la pesanteur, ils restent absolument immobiles à la place où on les a laissés. Les bras, les jambes, la tête, le tronc du sujet peuvent être mis dans toutes les positions mêmes les plus étranges ; aussi a-t-on comparé tout naturellement ces sujets à des mannequins de peintre que l’on plie dans tous les sens. »
Outre les descriptions de certains états qu’il a observé, Pierre Janet nous donne une caractérisation en trois points de ce qu’il appelle le somnambulisme. Il nuance la dernière, qui est plus irrégulière selon lui. Voici ces trois caractéristiques :

  • Oubli complet pendant l’état de veille normale de tout ce qui s’est passé pendant le somnambulisme.
  • Souvenir complet pendant un somnambulisme nouveau de tout ce qui s’est passé pendant les somnambulismes précédents.
  • Souvenir complet pendant le somnambulisme de tout ce qui s’est passé pendant la veille.

Voici maintenant les observations données par Milton Erickson dans son article sur la transe profonde, L’hypnose profonde et son induction3, présent dans les Collected Papers Tome I :
« Ce n’est que pour faciliter la conceptualisation que les transes profondes peuvent être caractérisées en (a) somnambulique et (b) stuporeuse. Chez des sujets bien entraînés le premier type de transe se caractérise par l’apparence éveillée du sujet qui semble fonctionner de manière adaptée, libre, et correcte dans l’ensemble de la situation hypnotique, d’une manière semblable à celle d’une personne non hypnotisée, dans son état habituel de conscience […]. La transe stuporeuse se caractérise avant tout par un comportement passif, marqué par un ralentissement psychologique et physiologique. Manquent ici les comportements spontanés et les initiatives si caractéristiques de l’état somnambulique quand on les laisse se produire. On retrouve volontiers une persistance marquée des réponses incomplètes, et une perte de la capacité à prendre conscience du moi. Des collègues médecins à qui l’auteur à demandé d’examiner des sujets en transe stuporeuse, sans leur dire que le sujet était en état hypnotique, ont souvent conclu à un état probablement dû à la prise de narcotiques. Selon l’expérience de l’auteur, l’état stuporeux est difficile à obtenir chez bien des sujets , semble-t-il en raison de leur refus de perdre leur conscience d’eux-même en tant qu’individus. »
Un parallèle Erickson-Janet saute aux yeux : l’état de désagrégation totale pourrait correspondre à ce qu’Erickson appelle la transe stuporeuse : l’absence d’agrégat principal – ou en tout cas sa forte réduction – conduit le sujet à être « une coquille vide », à être « absent ». La transe somnambulique, où le sujet a un aspect totalement éveillé et fonctionne au « niveau inconscient » pourrait correspondre à la création d’un agrégat suffisamment gros et puissant, différent du premier. Encore une fois, il s’agit non pas de deux états séparés, mais d’un continuum entre les deux.
Si ce parallèle se fait assez naturellement, il y a un grand point de divergence entre les deux. Pierre Janet considère l’amnésie post-hypnotique comme une condition obligatoire pour dire que le sujet a vécu un somnambulisme, ce qui n’est pas le cas de Milton Erickson. Ce dernier attribue une grande place à l’amnésie post-hypnotique, qu’il considère comme assez caractéristique de la transe profonde, mais n’en fait pas un critère absolu. Cette différence peut s’expliquer en partie par les sujets observés : Pierre Janet faisait face à des sujets atteints psychologiquement, victimes de graves maladies mentales. Ils rentraient donc très rapidement et facilement dans des états d’hypnose profonds. Milton Erickson observait plutôt des sujets « sains » à côté de ceux de Janet. Ils rentraient donc moins rapidement en état d’hypnose profonde et il donc a fallu élargir les critères.

Comparaison

De cette très brève présentation de la vision de la transe profonde prônée par Erickson et Janet, les bonnes intuitions de Dave Elman ressortent tout de suite. A commencer par l’amnésie en tant que caractérisation de la transe profonde. Mais le fait de la suggérer donne des résultats bien moins consistants : de nombreux sujet sont tout à fait capables de développer des amnésies spécifiques dans des états plus légers que l’hypnose profonde. L’apparition spontanée de mémoires alternantes est un critère bien plus robuste pour juger du caractère profond ou non de la transe.
L’état d’hypnose profonde d’Elman, l’état d’Esdaile et l’état Sichort s’inscrivent tous les deux dans cette vision. Ils semblent correspondre à un état plutôt très stuporeux. La transe profonde d’Elman et l’état d’Esdaile en particulier. Ce ne sont pas des états en eux même, différents l’un de l’autre ou plus profond l’un que l’autre. Ce sont simplement deux nuances d’un même phénomène : la désagrégation psychologique. Il est inutile d’en faire des états à part entière. Il est encore plus inutile d’affirmer l’atteinte spontanée de ces états particuliers avec un décompte ou un visualisation d’ascenseur à partir d’un autre état d’hypnose. La désagrégation – outre les suggestions que l’on va donner volontairement – va amener des phénomènes hypnotiques différents chez chaque personne. Ce qui explique d’ailleurs que les sujets semblent « choisir » l’état profond qui leur semble le meilleur au lieu de passer par les états dans l’ordre chronologique donné dans le modèle en début d’article : les phénomènes spontanés se développent au fur et à mesure de l’approfondissement selon la structure mentale du sujet. Ce dernier ne choisit pas son état en vue d’une problématique précise. Tout cela est d’une certaine façon aléatoire et dépend du sujet.
Ceci explique également que l’on ai l’impression que même si le sujet ne développe pas tous les phénomènes caractéristiques d’un état profond particulier, il y est quand même. En réalité, le sujet rentre en transe profonde au sens Erickson-Janet tout en développant des phénomènes spontanés au gré de sa désagrégation. S’il développe tous les signes d’un état d’Esdaile par exemple, coup de chance, on dit qu’il est dans cet état. S’il n’en développe que quelques uns, on a quand même l’impression qu’il est en coma hypnotique, puisqu’il est en transe stuporeuse, alors on dit qu’il est quand même dans l’état d’Esdaile.Ce modèle basé sur celui proposé par Elman se concentre exclusivement sur les aspects stuporeux de la transe profonde, en délaissant le somnambulisme du Docteur Erickson. Ceci est probablement dû à l’aspect impressionnant et « zombi » qui laisse penser que cet état est plus profond qu’un autre, où le sujet semblerait plus alerte. La facilité de calibration est sûrement elle aussi à l’origine de ce délaissement. Il est plus aisé de repérer un sujet devenant de plus en plus lent, de plus en plus endormi, que de calibrer des changements un peu plus subtils dans ses réactions et sa personnalité.

Conclusion

Le modèle de transe profonde prédominant est très incomplet dans sa théorie et méprend des phénomènes spontanés arrivant chez quelques sujets pour des états à part entière, devant arriver spontanément chez tous les sujets. Il n’est pas étonnant que les sujets évoluent alors au milieu de ces états sans suivre l’ordre prédit par la théorie, ou que toutes les caractéristiques ne soient pas remplies lorsqu’on tente de faire rentrer un sujet dans un état bien précis.
Ce modèle a malgré tout de très bonnes intuitions et s’insère parfaitement bien dans des conceptions plus sophistiquées, telles que celles d’Erickson et de Janet, dont le parallèle se fait assez naturellement. L’amnésie sert à caractériser le somnambulisme, et l’état de transe profonde selon Elman et l’état d’Esdaile – ainsi que l’état Sichort dans une moindre mesure – sont des instances particulières de transe stuporeuse, avec des phénomènes spontanés d’anesthésie et de catalepsie.
La capacité à induire un état d’hypnose profonde de façon répétée et consistante, bien que pas toujours facile, devrait à mon avis être une compétence de base de tout hypnotiseur. Il s’agit de culture hypnotique. De plus, il ne faut pas oublier que même un Milton Erickson, qui disait parfois que la transe légère suffit à créer les changements voulus, utilisait régulièrement l’hypnose profonde lors de ses séances. Enfin, si Erickson était un maître dans l’utilisation de l’hypnose légère, il ne faut pas oublier qu’il avait développé une grande expertise de l’hypnose profonde bien avant, et qu’il préconisait de travailler en moyenne entre quatre et huit heures avec un sujet avant de commencer le travail thérapeutique.
Beaucoup d’hypnotiseurs opposent, ou du moins séparent, les mouvances Ericksoniennes et Elmaniennes. Ceci n’a pas lieu d’être. La pensée Elmanienne n’est pas différente de celle d’Erickson. Elle est moins bien documentée et moins réfléchie. D’où la présence de très bonnes intuitions, malheureusement trop approximatives. Mais ces intuitions collent tout à fait aux observations d’Erickson sur la transe profonde ainsi qu’au modèle théorique développé par Janet.

Références :

1 Pank,C, Hypnose H-Ultra ou Hypnose profonde, 2013
2 Janet, P, L’Automatisme Psychologique, Essai de psychologie expérimentale sur les formes inférieures de l’activité humaine, 1889.
3 Erickson, M.H., L’hypnose profonde et son induction, 1952, disponible dans L’intégrale des articles de Milton Erickson sur l’hypnose Tome I.

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